"Il y avait longtemps que
l’attachement que j’avais pour Monsieur de la Trappe et mon admiration pour lui
me faisait désirer extrêmement de pouvoir conserver sa ressemblance après lui,
comme ses ouvrages en perpétueraient l’esprit et les merveilles. Son humilité
sincère ne permettait pas qu’on pût lui demander la complaisance de se laisser
peindre. On en avait attrapé quelque chose au chœur, qui produisit quelques
médailles assez ressemblantes ; mais cela ne me contentait pas.
D’ailleurs, devenu extrêmement infirme, il ne sortait presque plus de
l’infirmerie, et ne se trouvait plus en lieu où on le pût attraper. Rigaud
était alors le premier peintre de l’Europe pour la ressemblance des hommes et
pour une peinture forte et durable ; mais il fallait persuader à un homme
aussi surchargé d’ouvrages de quitter Paris pour quelques jours, et voir encore
avec lui si sa tête serait assez forte pour rendre une ressemblance de mémoire.
Cette dernière proposition, qui l’effraya d’abord, fut peut-être le véhicule de
lui faire accepter l’autre. Un homme qui excelle sur tous ceux de son art est
touché d’y exceller d’une manière unique : il en voulut bien faire
l’essai, et donner pour cela le temps nécessaire."
Saint-Simon
Mémoires
Gallimard, La Pléiade (édition Yves Coirault)
tome 1, page 333
Gallimard, La Pléiade (édition Yves Coirault)
tome 1, page 333
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire