mercredi 20 novembre 2019

Saint-Simon dans le texte disponible à l'écoute

Les sept premiers épisodes des "Affaires de mon temps" sont désormais disponibles en cd mp3. En vente après les représentations ou par envoi postal.

wdellarocca@yahoo.fr



mercredi 3 juillet 2019

La princesse des Ursins et son ambition de souveraineté

Saint-Simon explique fort bien pourquoi Marie Anne de La Tremoille, princesse des Ursins, camarera major à la cour d'Espagne, voulait profiter de la signature de la paix mettant un terme à la guerre de succession d'Espagne, pour faire inscrire dans le traité la nécessité de lui accorder une souveraineté. Cette ambition, soutenue par la reine et le roi d'Espagne, obtint l'accord de Louis XIV, sensible au désir de son petit-fils, Philippe V, de récompenser dignement les excellents services de la princesse. Mais ayant constaté la mauvaise volonté, voire l'hostilité, des principaux coalisés ennemis de la France (Empire, Hollande, Angleterre), le Roi ne tarda pas à abandonner cette cause pour lui tout à fait secondaire, qui risquait de compromettre un accord indispensable à la tranquillité de l'Europe.

Saint-Simon précise que cette souveraineté devait avoir pour capitale, dans l'esprit de Mme des Ursins, La Roche-en-Ardenne. En réalité la principauté devait correspondre à l'ancien comté de Chiny, aux frontières du royaume de France, permettant ultérieurement à la princesse de l'échanger avec le Roi contre la souveraineté du pays d'Amboise, sa vie durant. Philippe V avait en effet exigé, par l'article 7 du traité de paix, qu'une terre de 30 000 écus de revenu fût réservée dans les duchés de Luxembourg ou de Limbourg au profit de la princesse des Ursins et de ses héritiers, qui en auraient bénéficié en pleine souveraineté. A cet effet, Aubigny, factotum de la princesse, était à Utrecht dès le début de l'année 1713. Mais, méprisé par les ambassadeurs en raison de son "petit état", il fut bientôt remplacé, à la demande de Mme des Ursins, par le baron de Capres qui ne fut pas plus heureux dans l'exercice de sa mission. 

Comme le souligne Marianne Cermakian dans son ouvrage La Princesse des Ursins. Sa vie et ses lettres (Didier, 1969), il semble que la princesse, si habile dans les intrigues de cour et de pouvoir, ait été dans cette affaire qui la touchait de si près, d'une insigne maladresse. Elle ne sut pas comprendre la réalité de la mauvaise volonté des alliés à son égard ni, en conséquence, la réserve de Louis XIV, peu soucieux de se compromettre dans une négociation pour lui si peu importante. Bien pire, elle ne s'aperçut pas que cette exigence n'était maintenue par le Roi que pour obtenir, en échange de son abandon, quelque concession de la part de l'empereur (cf. Boislisle, tome 24, p. 213, note 2). En outre, comme l'indique Saint-Simon, Mme de Maintenon ne pouvait guère se réjouir de voir la princesse accéder à une véritable souveraineté. Mais peut-être n'a-t'elle jamais cru quelle pût un jour devenir souveraine et Boislisle a peut-être raison de voir de l'ironie dans les compliments que Mme de Maintenon adresse à Mme des Ursins : "J'en suis ravie ; mais rien ne peut vous rehausser dans mon imagination" (lettre citée par Boislisle, tome 24, p. 213, note 1). Devant le refus réitéré des Hollandais, il fut un temps question de créer cette souveraineté à Rosas, au nord de la Catalogne, sur la frontière du Roussillon, mais Louis XIV ordonna très rapidement à son petit-fils d'abandonner ce projet (cf. Boislisle, tome 5, appendice VI, p. 509). 

La fureur de Mme des Ursins de se voir ainsi dédaignée après "s'être donnée en spectacle à toute l'Europe" marqua une dégradation sensible dans sa correspondance avec Mme de Maintenon et, d'une manière plus générale, dans ses relations avec Versailles : "La corde venait de casser par le Roi sur sa souveraineté, et la paix enfin conclue avec l'Espagne sans en faire mention, laquelle était demeurée seule en arrière accrochée sur ce point" (Mémoires, Pléiade, IV, p. 780). Saint-Simon, en relevant un sourire qui, à la veille de la signature du traité d'Utrecht, échappe au Roi à propos de Mme des Ursins, affirme même, dans un titre marginal qu'il "résout entièrement sa perte" (ibid, p. 780). Quelque peu mortifiée, fragilisée par cet échec, la princesse se laissa circonvenir par la ruse d'Alberoni, sujet du duc de Parme, qui rêvait de devenir principal ministre à Madrid et qui sut s'attirer la protection et la confiance d'Elisabeth Farnèse, fille du duc de Parme, seconde épouse de Philippe V, lui inspirant sans doute la spectaculaire scène du 23 décembre 1714 à Jadraque, au cours de laquelle la nouvelle reine d'Espagne chassa cruellement la princesse des Ursins, la condamnant à un exil définitif.



La Princesse des Ursins chassée par la nouvelle reine d'Espagne, Elisabeth Farnèse
(origine inconnue)

Saint-Simon inspirateur de Victor Hugo ?

Le cardinal de Coislin, évêque d'Orléans et grand aumônier de France, connu pour sa bonté, est souvent évoqué dans les Mémoires. Il était neveu de M. de Pontchâteau, gentilhomme devenu jardinier à Port-Royal-des-Champs, saisi par "le démon de la droiture" pour reprendre la belle formule d'André Fraigneau (Journal profane d'un Solitaire, La Table Ronde, 1947), et avait hérité de son oncle une profonde sensibilité janséniste. Saint-Simon, dans sa chronique de l'année 1706, rapporte à son propos une anecdote émouvante qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher d'un célèbre épisode des Misérables de Victor Hugo (1862). 

Saint-Simon raconte en effet que le cardinal, non content de dépenser en aumônes publiques "tout le revenu de l'évêché" (Pléiade, II, p. 680), faisait quantité d'autres charités "qu'il cachait avec grand soin". Il accordait ainsi une pension à un gentilhomme ruiné et solitaire, le recevant en outre à sa table quasi quotidiennement lorsqu'il n'était pas à la cour: 

"Un matin, les gens de Monsieur d'Orléans trouvèrent deux fortes pièces d'argenterie de sa chambre disparues, et un d'eux s'était aperçu que ce gentilhomme avait beaucoup tourné là autour : il dirent leur soupçon à leur maître, qui ne le put croire, mais qui s'en douta sur ce que ce gentilhomme ne parut plus. Au bout de quelques jours il l'envoya quérir, et tête à tête il lui fit avouer qu'il était le coupable. Alors Monsieur d'Orléans lui dit qu'il fallait qu'il se fût trouvé étrangement pressé pour commettre une action de cette nature, et qu'il avait grand sujet de se plaindre de son peu de confiance de ne lui avoir pas découvert son besoin. Il tira vingt louis de sa poche, qu'il lui donna, le pria de venir manger chez lui à son ordinaire, et surtout d'oublier, comme il le faisait, ce qu'il ne devait jamais répéter. Il défendit bien à ses gens de parler de leur soupçon et on n'a su ce trait que par le gentilhomme même, pénétré de confusion et de reconnaissance" (Pléiade, II, p. 680-681).

Il est impossible, à la lecture de ce passage, de ne pas se souvenir d'un très célèbre épisode raconté par Victor Hugo (Les Misérables, première partie, livre II, 3-12), au cours duquel Jean Valjean, charitablement reçu par Monseigneur Myriel, évêque de Digne, part au petit matin emportant les couverts d'argent qu'il avait remarqués sur la table du dîner. Arrêté par deux gendarmes et ramené de force auprès de l'évêque, celui-ci prétend lui avoir donné non seulement les couverts mais également les chandeliers qu'il lui remet, lui reprochant de ne pas les avoir emportés comme convenu. 

On ne peut affirmer avec certitude que Victor Hugo se soit souvenu de ce passage des Mémoires, même si la coïncidence est pour le moins troublante. L'un des poèmes écrits à la suite des Châtiments (1853) et faisant partie du recueil baptisé Boite aux lettres, commence par : 

"J'aime ces grands esprits, j'aime ces grandes oeuvres... 
Et tous ceux qu'on oublie, et même ceux qu'on loue,
Retz, Pascal, Sévigné, Saint-Simon, Bourdaloue, 
Toi surtout, le rieur qui saigne, Poquelin !
J'aime de ces beaux noms ce beau Versailles plein"...

(Oeuvres poétiques, Pléiade, II, p. 327)

Il est probable que Victor Hugo parcourut l'édition des Mémoires due aux soins du marquis de Saint-Simon, publiée en 1829-1830, édition quasi intégrale qui fit par ailleurs les délices de Stendhal et de toute la génération romantique. De fait, la consultation du site http://www.maisonsvictorhugo.paris.fr sur la bibliothèque du poète à Hauteville House indique la présence de l'édition E. Renduel de 1835 (un volume, le seul à avoir été publié) et du tome V de l'édition H. L. Delloye de 1840-1841 concernant les années 1706-1707, qui contient précisément l'anecdote de la générosité du cardinal de Coislin. Ces deux éditions avaient pour ambition de reprendre, en la corrigeant, celle de 1829-1830, établie par le marquis de Saint-Simon.




mercredi 13 mars 2019

Saint-Simon et les jésuites


Lorsque Saint-Simon évoque les circonstances de la désignation du Père Tellier comme confesseur du Roi en 1709, il retrace les grandes lignes de la carrière et du caractère de son prédécesseur, également jésuite, le Père de La Chaise dont la bénignité et le sens du compromis lui avaient valu de la part de Mme de Montespan le plaisant surnom de "chaise de commodité". Le mémorialiste souligne l'attachement du Roi pour son vieux confesseur dont il refusa longtemps la retraite, n'hésitant pas, écrit Saint-Simon, à se faire "apporter  le cadavre" (III, p.340). A l'évidence, ce mot si frappant est emprunté à la célèbre devise jésuite Perinde ac cadaver (tel un cadavre), mettant en exergue l'impérieux devoir, pour tout jésuite, de totale soumission à ses supérieurs.


Elevé par les jésuites, en particulier par le Père Sanadon choisi par ses parents et dont il loue les grandes qualités ("...car, quelque chose qu'il se publie d'eux, il ne faut pas croire qu'il ne s'y trouve par-ci par-là des gens fort saints et fort éclairés", III, p.346), Saint-Simon témoigne à l'égard de la Compagnie d'une très profonde méfiance. Il critique à de multiples reprises, tout au long des Mémoires, le pouvoir jésuite, dangereux pour la monarchie car occulte et soumis au puissant généralat, par-delà l'obéissance normalement due au souverain. Il rappelle la volonté de puissance des jésuites, assez forte pour défier occasionnellement le Pape lui-même (en refusant par exemple de se soumettre aux décrets de Rome concernant les cérémonies confucéennes en Chine, que les jésuites voulaient concilier avec la christianisation, ce que le Pape finira par condamner, VIII, p.576 et suiv.), leur pouvoir de nuisance (ainsi à l'égard du cardinal de Noailles, archevêque de Paris malgré eux et dont ils perdent la réputation en le faisant accuser, par des évêques affidés, de jansénisme, péché mortel aux yeux du Roi, IV, p.340), et surtout leurs principes funestes, que le Père de La Chaise lui-même évoque ouvertement : priant instamment le Roi de choisir son successeur parmi les jésuites, il n'hésite pas à affirmer qu'il importe au plus haut point de ne pas les mécontenter et "qu'un mauvais coup était bientôt fait" (III, p.341) ! Cette accusation de tyrannicide, fréquemment reprise depuis l'assassinat d'Henri IV dont le meurtrier avait été élève des jésuites, connaîtra un regain d'ardeur au moment de la publication en 1713 de l'Histoire de la Compagnie de Jésus par le Père Jouvancy, où l'auteur célèbre les vertus "des jésuites les plus abhorrés pour les fureurs de la Ligue, pour la conspiration des Poudres en Angleterre, et pour celles qui ont été tramées contre la vie d'Henri IV : tout cela approuvé par la supériorité du Pape sur le temporel des rois, son droit d'absoudre leurs sujets du serment de fidélité, de les déposer et de disposer de leur couronne, enfin par le principe passé chez eux en dogme qu'il est permis de tuer le tyran, c'est-à-dire les rois qui incommodent" (IV, p.594). Horrifié par les "énormités de ce livre" (IV, p.595), Saint-Simon se réjouit de sa condamnation par le Parlement, au grand dam du Père Tellier. Le mémorialiste dénonce enfin l'organisation interne de cet ordre religieux dont les membres-mêmes ignorent qui d'entre eux ont prononcé le fameux "quatrième voeu", conférant le pouvoir, entre autres, de renvoyer dans leurs foyers les jésuites non profès qui ne donnent pas satisfaction. Cette culture du secret trouve une illustration supplémentaire dans l'analyse des relations entre les jésuites et Fénelon, auquel le gros des troupes était hostile mais que soutenait "le sanhédrin ténébreux et mystérieux" (IV, p.42).

Ces différentes questions qui nourrissent la méfiance de Saint-Simon à l'égard des jésuites n'empêchent pas la cour de le croire soutenu par la Compagnie de Jésus lorsqu'il est question de l'envoyer comme ambassadeur à Rome ("les jésuites voulaient M. le duc de Saint-Simon et les jansénistes d'Antin" écrit Mme de Maintenon au duc de Noailles le 22 février 1706, lettre citée par Boislisle, XIII, p.246, note 4) ni le Père Tellier, nouveau confesseur du Roi, de poursuivre Saint-Simon de ses assiduités ("Je fus violé" écrit plaisamment Saint-Simon, III, p.346) jusqu'à solliciter une longue et passionnante entrevue, "bec à bec entre deux bougies", dans la "boutique" du duc, afin de discuter de la bulle Unigenitus (III, p.706 et suiv.). Bien plus tard encore, en 1721, lui dont on connaissait "la bonté" qu'il avait "toujours eue pour les jésuites", il est poursuivi par le Père d'Aubenton pour "faire rendre aux jésuites le confessionnal du Roi" occupé depuis 1716 par l'abbé Fleury (VIII, p.76).


Saint-Simon sut ménager ses anciens maîtres avec assez d'habileté pour leur faire croire à une bienveillance respectueuse, guère évidente à la lecture des Mémoires. Outre les reproches implicites ou explicites adressés à l'esprit jésuite, Saint-Simon ne pouvait qu'être ulcéré par la publication d'un autre ouvrage émanant de la Compagnie de Jésus, l'Histoire de France du Père Daniel, dont "le papier et l'impression... du plus grand choix, et le style admirable" (IV, p.656) n'atténuent pas l'infamie du contenu : l'auteur n'y soutient-il pas que "la plupart des rois de la première race, plusieurs de la seconde, quelques-uns même de la troisième, ont constamment été bâtards, très souvent adultérins, et doublement adultérins, que ce défaut n'avait pas exclus du trône, et n'y avait jamais été considéré comme ayant rien qui en dût ni pût éloigner" (IV, p.657). Pour Saint-Simon, épouvanté de l'horreur de la bâtardise souillant la famille de Louis XIV, et si peu de temps après l'éprouvante scène de la déclaration du rang des enfants du duc du Maine désormais considérés comme princes du sang (III, p.774 et suiv.), une telle affirmation ne peut qu'être scandaleuse et odieuse. Perfidement, l'auteur ajoute que, pour d'assez évidentes raisons, "c'était bien sûrement l'unique livre historique dont le Roi et Mme de Maintenon eussent jamais parlé" (IV, p.657).

Puissance occulte à l'ambition universelle dont plusieurs protagonistes ont certainement fasciné Saint-Simon par leur intelligence retorse, la Compagnie de Jésus est souvent évoquée dans les Mémoires et son rôle presque toujours critiqué. Ces "gros bonnets à quatre voeux" (I, p.373) n'hésitent jamais à emprunter "la porte de derrière" (I, p.447) au profit de leur politique sournoise mais efficace. S'ils subissent quelques échecs, ils ne renoncent jamais " à quelque prix que ce soit, et par toutes sortes de voies" (IV, p.916). "Maîtres des cours par le confessionnal" (III, p.628), à l'exception de celle de Savoie, méfiance dont héritera la duchesse de Bourgogne (II, p.590), ils savent glisser des coussins sous les genoux des pécheurs, apaiser la conscience du Roi qui "s'était flatté toute sa vie de faire pénitence sur le dos d'autrui, et se repaissait de la faire sur celui des huguenots et des jansénistes" (III, p.632). Ils échouèrent cependant à établir en France l'Inquisition, malgré le "miel jésuitique" et "le travail constant et assidu pour arriver à cette abominable fin" (IV, p.917). Le mot du président Harlay, complaisamment cité par Saint-Simon (III, p. 419) explique assez le succès obtenu par les jésuites dans les cercles du pouvoir: alors qu'il recevait chez lui pour une affaire jésuites et oratoriens, le premier président leur dit "en les reconduisant devant tout le monde : Qu'il est bon, se tournant aux jésuites, de vivre avec vous, mes Pères ; et tout de suite, se tournant aux Pères de l'Oratoire : et de mourir avec vous, mes Pères !"

mardi 12 mars 2019

Saint-Simon et Hardouin-Mansart


Saint-Simon évoque à plusieurs reprises dans ses Mémoires la figure de Jules Hardouin-Mansart  (1646-1708), neveu de François Mansart, nommé surintendant des Bâtiments en 1699.

Il fait dire à Le Nôtre, interrogé par le Roi sur la colonnade que l'architecte avait bâtie dans un bosquet des jardins de Versailles : "Sire, que voulez-vous que je vous dise ? D'un maçon vous avez fait un jardinier ; il vous a donné un plat de son métier" (I , p.739). Il convient de noter cependant que Le Nôtre fut le premier à introduire le jeune Hardouin-Mansart auprès du Roi ; mais une brouille s'ensuivit. On retrouve ce même esprit critique dans tous les passages où il est question de l'architecte, particulièrement dans l'histoire du pont de Moulins emporté par les courants de l'Allier.

Commencé en 1705, le pont à trois arches de Moulins, encore inachevé, fut emporté par la crue le 8 novembre 1710, soit près de deux ans après la mort de Jules Hardouin-Mansart qui ne put donc être présent lors de l'échange entre le Roi et le comte de Charlus, rapporté par Saint-Simon (III, p.136).

Dans son article sur le pont de Moulins (Jules Hardouin-Mansart, 1646-1708, sous la direction d'Alexandre Gady, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 2010), Guillaume Fonkenell rappelle que de 1608 à 1703 "six ouvrages en pierre ou en bois furent successivement emportés". Ce n'est qu'en 1753 que fut entrepris le pont toujours en place aujourd'hui sur les plans de l'ingénieur Régemortes. Le chantier du pont de Moulins conçu par Hardouin-Mansart avec son grand arc central de 46 mètres de diamètre mobilisa des moyens considérables et l'architecte fut très attentif à son évolution jusqu'à la fin de sa vie. "L'échec du pont de Mansart est donc plus révélateur des limites de l'ingénierie hydraulique de la fin du XVIIe siècle que des défaillances de son architecte" (op. cit., p.552).



A Versailles, architecte de la Galerie des Glaces, de l'Orangerie, du Trianon de marbre et de la chapelle, Hardouin-Mansart s'attire, à propos de celle-ci, ce jugement sévère : "On croit voir un palais qui a été brûlé, où le dernier étage et les toits manquent encore. La chapelle qui l'écrase, parce que Mansart voulait engager le Roi à élever le tout d'un étage, a de partout la triste représentation d'un immense catafalque" (V, p.532-533).

Il convient de souligner que Jules Hardouin-Mansart réaménage l'hôtel de Lorge bâti par Antoine Lepautre en 1668, acquis en 1669 par le financier Nicolas Frémont, bientôt habité par sa fille et son gendre, Guy de Durfort, comte de Lorge, futur beau-père de Saint-Simon. C'est à l'hôtel de Lorge, situé rue Neuve-Saint-Augustin, qu'eurent lieu les cérémonies du mariage du mémorialiste avec Marie-Gabrielle de Durfort, le 7 avril 1695.

En 1697, Hardouin-Mansart est chargé de reconstruire le grand corps de logis avec, au rez-de-chaussée, un vestibule à colonnes ouvert entre les deux cours, qui devint rapidement célèbre pour sa nouveauté, et que l'on rapprocha du "péristyle" du Trianon de marbre construit dix ans plus tôt (Nicolas Courtin, op.cit., p.416).

Après le décès du maréchal de Lorge, son fils, époux de la "grande biche" pour laquelle Saint-Simon éprouvait une profonde affection, loua l'hôtel en 1703 à son beau-père, le ministre Michel Chamillart.






Jules Hardouin-Mansart devant Louis XIV de Simon Mingasson (1849)
- Nouvelle acquisition du Musée de l'Armée -