mardi 6 octobre 2015

Le portrait de l'Abbé de Rancé par Hyacinthe Rigaud

Comme le raconte Saint-Simon dans ses Mémoires, son désir de posséder le portrait d'un homme aussi admirable que Rancé, abbé de la Trappe, lui fit imaginer un amical complot destiné à vaincre, sans qu'il s'en rendît compte, la modestie affichée du modèle malgré lui.
Saint-Simon connaissait bien Rigaud qui, à la demande de son père, le duc Claude, avait exécuté en 1692, si l'on en croit le livre de comptes de l'artiste, son propre portrait à l'âge de dix-sept ans, vêtu d'une armure de fantaisie. Saint-Simon venait de participer à sa première campagne militaire à l'occasion du siège de Namur (tableau aujourd'hui conservé au Musée des Beaux-Arts de Chartres).



En 1696, il fait peindre par Rigaud le célèbre portrait de Rancé, qu'il conservera jusqu'à sa mort dans sa chambre de La Ferté-Vidame et qu'il léguera à l'abbaye de la Trappe où il se trouve toujours. Le mémorialiste fait état du succès de ce portrait et des nombreuses répliques, intégrales ou partielles, qu'on réclama au peintre. La plus célèbre d'entre elles est exposée dans les salles du Musée Comtadin-Duplessis à Carpentras. Elle faisait partie des collections du fondateur de la Bibliothèque Inguimbertine, Monseigneur d'Inguimbert (1683-1757), lui-même ancien trappiste, qui l'avait reçue de son protecteur le Pape Clément XII, lors de son départ de Rome en 1735 pour le siège épiscopal de Carpentras. Jean-François Delmas, directeur de la Bibliothèque-Musée Inguimbertine, que nous remercions vivement pour son aimable accueil, émet l'hypothèse que le tableau avait été acquis, lors d'un de ses séjours parisiens, par Neri Corsini, neveu de Clément XII, qui commanda à Rigaud son propre portrait.
Bien qu'elles soient malheureusement mutilées, les armoiries du souverain pontife Clément XII Corsini sont reconnaissables en haut du cadre sculpté et doré. Un tel présent était d'autant plus significatif que d'Inguimbert avait fait paraître dix ans plus tôt, en 1725, en italien, une vie de l'abbé de Rancé.
Exposé à l'Hôtel-Dieu de Carpentras, le tableau a été transféré dans la galerie du Musée Comtadin-Duplessis en 1888. Rappelons que c'est pour répondre à la suggestion de son confesseur l'abbé Seguin, originaire de Carpentras et admirateur de la Trappe, que Chateaubriand écrivit sa Vie de Rancé, publiée en 1844. On peut y lire le témoignage d'une admiration exaspérée à l'égard du mémorialiste : 
"Saint-Simon serait très croyable dans ce qu'il rapporte s'il pouvait s'occuper d'autre chose que de lui. A force de vanter son nom, de déprécier celui des autres, on serait tenté de croire qu'il avait des doutes sur sa race. Il semble n'abaisser ses voisins que pour se mettre en sûreté. Louis XIV l'accusait de ne songer qu'à démolir les rangs, qu'à se constituer le grand maître des généalogies. Il attaquait le parlement et le parlement rappela à Saint-Simon qu'il avait vu commencer sa noblesse. C'est un caquetage éternel de tabourets dans les Mémoires de Saint-Simon. Dans ce caquetage viendraient se perdre les qualités incorrectes du style de l'auteur, mais heureusement il avait un tour à lui; il écrivait à la diable pour l'immortalité."
La pique est savoureuse de la part de Chateaubriand dont Mme de Boigne écrivait :
"Il n'a foi en rien au monde qu'en son talent, mais aussi c'est un autel devant lequel il est dans une prosternation perpétuelle." (Mémoires de la comtesse de Boigne, tome 1, Mercure de France, p. 200)



Photos : William della Rocca

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