mardi 6 juin 2017

Ninon de Lanclos (1623-1705)


Anne de Lanclos (l'orthographe Lenclos qui est habituellement utilisée est fautive) était la fille d'un fier-à-bras "impie et ami du plaisir", dont la principale qualité était de jouer remarquablement du luth. Il existe au Cabinet des estampes des musées d'Etat de Berlin un admirable recueil, illustré de dessins attribués à Abraham Bosse, comprenant diverses pièces de luth composées par Denis Gaultier, parmi lesquelles un Tombeau de M. de Lanclos et La consolation des amis de M. de Lanclos. Henri de Lanclos sut transmettre à sa fille son amour de la musique, et du luth en particulier, talent qui permit à la jeune fille peu fortunée d'être appelée à jouer dans les salons du Marais et de commencer à nouer d'utiles relations dans la bonne société. C'est très probablement dans l'un de ces salons qu'elle fit la connaissance de son premier protecteur, Jean Coulon, conseiller au Parlement, et, peu après, du second, d'Aubijoux, lieutenant du Roi en Languedoc et gouverneur de Montpellier. Ainsi s'amorça sa carrière de courtisane, qu'elle sut habilement parer des qualités d'élégance et de savoir-vivre, au point de se voir confier par des courtisans l'éducation sentimentale et sexuelle de leurs fils. C'est à cette époque qu'elle choisit de se faire appeler Ninon, peut-être sous l'influence de la Nanna de l'Arétin. On sait par Tallemant des Réaux qu'elle classait ses soupirants en trois catégories : les payeurs, les martyrs et les favoris. Sa "manière jolie de faire l'amour", ses dons de musicienne, sa culture sans doute réduite mais sincère (elle était fervente lectrice de Montaigne) lui permirent de conforter une certaine position sociale. Mais elle n'échappa pas, dans les années 1650, au climat de pruderie encouragé par la Reine Anne d'Autriche, sous l'influence de la Compagnie du Saint-Sacrement. Elle fut arrêtée et conduite dans une institution, les Madelonnettes, où l'on enfermait les femmes de mauvaise vie, puis dans un couvent à Lagny où elle reçut - première consécration - la visite de Christine de Suède (septembre 1656).
Très liée au milieu précieux (Mlle de Scudéry fit son portrait dans Clélie sous le nom de Clarice) et au milieu libertin (Scarron), elle s'installa en 1658 rue des Tournelles (actuel numéro 36) où elle vécut quarante-huit ans. Ses bons mots, son "humeur vituperosa" (Tallemant), le charme de sa société amplifièrent sa renommée. Son grand amour fut sans aucun doute le marquis de Villarceaux avec lequel elle eut un fils qu'elle n'éleva pas elle-même mais qu'elle n'abandonna jamais, se souciant jusqu'à sa mort de lui assurer une vie honorable et des revenus suffisants. Ce fils, qui deviendra le chevalier de La Boissière, fit toute sa carrière dans la Marine à Toulon ; il fut reconnu par son père. Villarceaux, dès la fin de sa passion pour Ninon, se mit à courtiser son amie Mme Scarron, qui ne fut pas indifférente.
En 1671, Ninon se lia avec Charles de Sévigné, fils de la marquise, des années après avoir été la maîtresse de son père. Beau mais nonchalant, il lassa Ninon qui le quitta comme le raconte Mme de Sévigné à sa fille (22 avril 1671) : "Ninon l'a quitté. Il était malheureux quand elle l'aimait ; il est au désespoir de n'en être plus aimé, et d'autant plus qu'elle n'en parle pas avec beaucoup d'estime : C'est une âme de bouillie, dit-elle, c'est un corps de papier mouillé, un coeur de citrouille fricassé dans de la neige."
Ses amitiés avec Mme de La Sablière, avec Saint-Evremond, qui lui dédia son traité Sur la morale d'Epicure, rendent compte de son goût pour la pensée libre de toute contrainte religieuse, même si elle s'efforça, à la fin de sa vie, de sauver les apparences et d'échapper à l'accusation d'impiété. Elle mourut en 1705, après avoir pris soin de réserver une place pour son tombeau dans l'église Saint-Paul, sa paroisse.


Bibl. : Roger Duchêne, Ninon de Lenclos, Fayard, 1984.


Jacques II, roi d'Angleterre


"A qui appartiennent ces cendres ? Les vents n'en savent rien."
Chateaubriand, Vie de Rancé

Jacques II (Londres, 1633 - Saint-Germain-en-Laye, 1701), fils de Charles 1er et d'Henriette de France, succède à son frère Charles II en 1685. "Convaincu de sa légitimité de droit divin, il considère comme un devoir sacré de redonner aux catholiques la liberté de culte et d'accès à toutes les charges, sans voir que la plupart de ses sujets identifient le papisme à l'arbitraire" (Guy Boquet). Cherchant à imposer la "déclaration d'indulgence" visant à établir la liberté de conscience, il se heurte à l'hostilité des anglicans et des tories tandis que Guillaume d'Orange, qui a épousé Mary, fille de Jacques II, multiplie les contacts avec les opposants au roi. Guillaume d'Orange débarque à Torbay en novembre 1688, ralliant à lui la plupart des généraux. Avec la tacite complicité de Guillaume, Jacques II s'enfuit en France où Lauzun avait déjà conduit la reine et son fils. Louis XIV l'installe en grande pompe à Saint-Germain tandis que le parlement considère qu'il a abdiqué et offre la couronne à Mary et Guillaume (février 1689). Malgré une tentative de reconquête en Irlande, Jacques II ne retrouvera jamais son trône et Louis XIV doit reconnaître Guillaume comme roi d'Angleterre par la Paix de Ryswick en 1697. Jacques II mène alors une vie austère, coupée de retraites à la Trappe ou chez les bénédictins.
Chateaubriand, dans sa Vie de Rancé, évoque à plusieurs reprises le roi déchu et cite l'abbé de la Trappe lui-même : "On est inexorable, dit Rancé, pour ceux qui n'ont pas la fortune de leur côté." Un peu plus loin il écrit : "On conservait à la Trappe les portraits de Sa Majesté britannique ; il était là conservé dans son écrin d'oubli. Dans sa jeunesse, Charles X vint apprendre à la Trappe la pénitence de Jacques II. La Trappe elle-même s'ensevelit sous ses ruines, puis elle a été déblayée ; mais que sert, après un demi-siècle, de relever un vaisseau naufragé, quand ceux qui l'avaient chargé de leur fortune et de leurs espérances ne sont plus?"
C'est précisément sous Charles X que furent retrouvées les entrailles de Jacques II lors des travaux de reconstruction de l'église paroissiale de Saint-Germain-en-Laye. Charles X fit replacer la boîte en plomb sous un monument de marbre, avec une épitaphe. Le corps du roi d'Angleterre, aussitôt après sa mort, avait été conduit aux Bénédictins anglais à Paris, rue Saint-Jacques. Son tombeau, surmonté d'un dais, disparut en 1793.