lundi 28 décembre 2015

L' "Allégorie de la présentation de Philippe V à l'Espagne" par Henri de Favanne




Le tableau d'Henri de Favanne (Londres, 1668 - Paris, 1752), Allégorie de la présentation de Philippe V à l'Espagne fait partie des collections du musée national du château de Versailles. Il est ainsi décrit dans l'ouvrage de Nicolas Guérin, Description de l'académie royale des arts de peinture et de sculpture (Paris, 1715) : "Il représente Philippe de France, duc d'Anjou, reconnu roi des Espagnes par droit de succession, et par le testament de Charles II, mort sans enfant. L'heureux Génie de ces royaumes, sous la figure d'un jeune homme ayant une flamme de feu sur la tête, est élevé sur une nuée, préside à cette importante action pour marquer la sagesse avec laquelle les Espagnols se sont conduits dans une conjoncture si délicate. Le jeune prince paraît présenté par la France, et reçu par l'Espagne à genoux avec autant de respect que de reconnaissance; ce qui se passe en présence du cardinal Portocarrero, archevêque de Tolède, parce qu'il est un des Grands d'Espagne qui a eu plus de part au ménagement de cette grande affaire. Et pour faire connaître toutes les difficultés qu'il a fallu surmonter par la mettre à fin, le peintre dans le lointain du tableau a feint que toutes les passions des hommes qui pourraient s'y opposer soient mises en fuite par Hercule. Le fleuve qui est peint au bas du tableau est Bidassoa, qui fait la séparation des deux royaumes de France et d'Espagne."

Né à Londres en 1668 de parents français, Favanne s'est formé en France auprès de René-Antoine Houasse à partir de 1687. Pendant son séjour à Rome, où il fut pensionnaire de l'Académie de France de 1695 à 1700, il se lia d'amitié avec Jean Bouteroue d'Aubigny, secrétaire de Anne Marie de La Trémoille, bientôt princesse des Ursins. Après son retour à Paris, Favanne fut agréé à l'Académie de peinture le 29 janvier 1701 sur présentation de l'esquisse (aujourd'hui au musée des beaux-arts d'Orléans) de ce tableau avec lequel il devait être reçu académicien le 23 août 1704. D'Aubigny le fit venir à Madrid où il séjourna de 1706 à 1713, quand Mme des Ursins, camarera major de la reine Marie Louise Gabrielle de Savoie, confidente et conseillère du roi et de la reine d'Espagne, était au faîte de sa puissance. Revenu en France en 1714, l'année même de la disgrâce de la princesse des Ursins, chassée d'Espagne par la seconde épouse de Philippe V, Elisabeth Farnese (on se souvient de la rage cruelle de la nouvelle reine d'Espagne qui "redoublant de furie et de menaces, se mit à crier qu'on fît sortir cette folle de sa présence et de son logis". Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, tome V, page 160), il commence aussitôt le décor du château de Chanteloup, près d'Amboise, propriété depuis 1708 de Bouteroue d'Aubigny, peut-être en l'occurence prête-nom de Mme des Ursins. Le château fut en effet reconstruit en 1711 d'après les plans de Robert de Cotte, à un moment où Mme des Ursins se mit à espérer d'obtenir "en souveraineté la Touraine et le pays d'Amboise".

Le décor du plafond de la galerie, tout à la gloire de Philippe V, célèbre indirectement le rôle et l'influence de la princesse. Chanteloup, acquis par le duc de Choiseul en 1761 et considérablement transformé et embelli, fut détruit en 1825 par la "Bande noire" qui démolissait de nombreux édifices pour en récupérer les matériaux. Plusieurs tableaux, parmi lesquels des esquisses pour la galerie, permettent d'en imaginer le décor. Certains se trouvent dans des collections publiques (ainsi au Louvre, La Force et la Justice; au musée des beaux-arts de Lille, La Réduction des royaumes de Valence et d'Aragon; au musée des beaux-arts de Tours, La Bataille d'Almanza).

N'ayant jamais travaillé pour le Roi, ayant réalisé son chef d'oeuvre loin de Paris, en Touraine, pour un château détruit au début du 19ème siècle, Favanne fut longtemps oublié des historiens de l'art. Il fut redécouvert grâce à la perspicacité d'Antoine Schnapper, éminent spécialiste de la peinture française des 17ème et 18ème siècles, qui consacra au peintre plusieurs articles décisifs et encouragea certains de ses étudiants à poursuivre les recherches. 

Bibliographie :
A. Schnapper, "Musée des beaux-arts d'Auxerre. Deux tableaux de Henri de Favanne", La Revue du Louvre et des Musées de France, 1972, numéro 4-5.
A. Schnapper, "Traces du décor peint par Henri de Favanne (1668-1752) pour le château de Chanteloup", La Revue du Louvre et des Musées de France, 1984, numéro 5-6.
G. Allain-Bernard, "Nouveaux documents sur Henri de Favanne", Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français, année 1996.
Chanteloup, un moment de grâce autour du duc de Choiseul, catalogue d'exposition, musée des beaux-arts de Tours, 2007.