Anne de Lanclos (l'orthographe Lenclos qui est
habituellement utilisée est fautive) était la fille d'un fier-à-bras
"impie et ami du plaisir", dont la principale qualité était de jouer
remarquablement du luth. Il existe au Cabinet des estampes des musées d'Etat de
Berlin un admirable recueil, illustré de dessins attribués à Abraham Bosse,
comprenant diverses pièces de luth composées par Denis Gaultier, parmi
lesquelles un Tombeau de M. de Lanclos et
La consolation des amis de M. de Lanclos.
Henri de Lanclos sut transmettre à sa fille son amour de la musique, et du luth
en particulier, talent qui permit à la jeune fille peu fortunée d'être appelée
à jouer dans les salons du Marais et de commencer à nouer d'utiles relations
dans la bonne société. C'est très probablement dans l'un de ces salons qu'elle
fit la connaissance de son premier protecteur, Jean Coulon, conseiller au
Parlement, et, peu après, du second, d'Aubijoux, lieutenant du Roi en Languedoc
et gouverneur de Montpellier. Ainsi s'amorça sa carrière de courtisane, qu'elle
sut habilement parer des qualités d'élégance et de savoir-vivre, au point de se
voir confier par des courtisans l'éducation sentimentale et sexuelle de leurs
fils. C'est à cette époque qu'elle choisit de se faire appeler Ninon, peut-être
sous l'influence de la Nanna de l'Arétin. On sait par Tallemant des Réaux
qu'elle classait ses soupirants en trois catégories : les payeurs, les martyrs
et les favoris. Sa "manière jolie de faire l'amour", ses dons de
musicienne, sa culture sans doute réduite mais sincère (elle était fervente
lectrice de Montaigne) lui permirent de conforter une certaine position
sociale. Mais elle n'échappa pas, dans les années 1650, au climat de pruderie
encouragé par la Reine Anne d'Autriche, sous l'influence de la Compagnie du
Saint-Sacrement. Elle fut arrêtée et conduite dans une institution, les
Madelonnettes, où l'on enfermait les femmes de mauvaise vie, puis dans un
couvent à Lagny où elle reçut - première consécration - la visite de Christine
de Suède (septembre 1656).
Très liée au milieu précieux (Mlle de Scudéry fit son
portrait dans Clélie sous le nom de
Clarice) et au milieu libertin (Scarron), elle s'installa en 1658 rue des
Tournelles (actuel numéro 36) où elle vécut quarante-huit ans. Ses bons mots,
son "humeur vituperosa"
(Tallemant), le charme de sa société amplifièrent sa renommée. Son grand amour
fut sans aucun doute le marquis de Villarceaux avec lequel elle eut un fils
qu'elle n'éleva pas elle-même mais qu'elle n'abandonna jamais, se souciant
jusqu'à sa mort de lui assurer une vie honorable et des revenus suffisants. Ce
fils, qui deviendra le chevalier de La Boissière, fit toute sa carrière dans la
Marine à Toulon ; il fut reconnu par son père. Villarceaux, dès la fin de sa
passion pour Ninon, se mit à courtiser son amie Mme Scarron, qui ne fut pas
indifférente.
En 1671, Ninon se lia avec Charles de Sévigné, fils de
la marquise, des années après avoir été la maîtresse de son père. Beau mais
nonchalant, il lassa Ninon qui le quitta comme le raconte Mme de Sévigné à sa
fille (22 avril 1671) : "Ninon l'a quitté. Il était malheureux quand elle
l'aimait ; il est au désespoir de n'en être plus aimé, et d'autant plus qu'elle
n'en parle pas avec beaucoup d'estime : C'est
une âme de bouillie, dit-elle, c'est un corps de papier mouillé, un coeur
de citrouille fricassé dans de la neige."
Ses amitiés avec Mme de La Sablière, avec
Saint-Evremond, qui lui dédia son traité Sur
la morale d'Epicure, rendent compte de son goût pour la pensée libre de
toute contrainte religieuse, même si elle s'efforça, à la fin de sa vie, de
sauver les apparences et d'échapper à l'accusation d'impiété. Elle mourut en
1705, après avoir pris soin de réserver une place pour son tombeau dans
l'église Saint-Paul, sa paroisse.
Bibl. : Roger Duchêne, Ninon de Lenclos, Fayard,
1984.
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